Sheila Hicks

Sens dessus dessous

April 2018 - November 2019

Domaine de Chaumont-sur-Loire, Centre Val de Loire, France

www.domaine-chaumont.fr

Sheila Hicks, Sens dessus dessous, installation view, Chaumont-sur-Loire, 2018 © Éric Sander

En 2018, pour sa 2ème année de création à Chaumont-sur-Loire, l’artiste intervient dans les appartements du Château avec l’utilisation combinée de deux matières : la laine et le papier, un papier épais comme une peau, en écho aux papiers peints anciens, aux murs et aux âmes en suspens dans ces espaces qui ont vu passer tant d’invités, de vies et de fantômes.

En un château, qui abrite une extraordinaire collection de tapisseries anciennes et après les Fleurs fantômes de Gabriel Orozco inspirées des papiers peints des chambres des Invités de la Princesse de Broglie, quoi de plus naturel que de confier à Sheila Hicks, si sensible aux murmures des murs, des tapisseries et des papiers peints.

Avec elle, en effet, “la tapisserie a quitté les murs pour devenir œuvre d’art”.

Elle utilise avec une virtuosité phénoménale la matière textile, comme un peintre use de ses gouaches.

Chaque création est pour elle un voyage, une exploration qu’elle engage avec les merveilleux ballots colorés et les pelotes géantes de laine ou de lin qui l’accompagnent en permanence et avec lesquels elle invente ses univers infiniment poétiques.

Installations monumentales ou délicats collages et tissages de laine ou de lin participent de la même science de la couleur de cette immense artiste, qui connaît parfaitement toutes les pratiques textiles qu’elle a pu découvrir dans le monde entier, lors de ses innombrables voyages de découvertes.

En 2018, pour sa 2ème année de création à Chaumont-sur-Loire, l’artiste intervient dans les appartements du Château avec l’utilisation combinée de deux matières : la laine et le papier, un papier épais comme une peau, en écho aux papiers peints anciens, aux murs et aux âmes en suspens dans ces espaces qui ont vu passer tant d’invités, de vies et de fantômes.

Le papier, de soie, de bambou, la laine, comme des dessins, dialogueront avec les murs détériorés, les papiers peints décollés et laisseront entrevoir des secrets, des histoires cachées, ressusciteront des histoires permettant de remonter le fil du temps, de retrouver les couleurs d’antan.

"Si elle a longuement médité sur les espaces qu’elle doit investir, sur les matières qu’elle y déploiera, sur les couleurs qu’elle y répandra, c’est au moment où elle retrouve les pièces et les ambiances de son installation qu’elle entre vraiment dans l’acte d’invention. Faisant alors flèche de tout bois, utilisant tous objets, tous éléments d’architecture ou anfractuosités d’un mur, elle va suivre son instinct pour construire une scène où se mêleront son imaginaire et celui du spectateur, chahutant poétiquement l’ordre préexistant. Elle sent, elle sait ce qui doit être, ce qui doit advenir, mue par son instinct et la longue expérience d’un œil absolu. De même que l’on parle d’une oreille absolue, elle possède ce regard omniscient, qui perçoit aussitôt l’ensemble d’une scène et de ses potentialités chromatiques.

S’inspirant de tableaux ou d’éléments de la nature, elle va ainsi donner forme aux idées, aux visions qui traversent son imaginaire.

Avec des matériaux inhabituels, comme des tissus très denses aux couleurs très intenses dans les sous-sols du château et des papiers précieux dans les appartements du dernier étage, elle dialogue poétiquement avec les espaces singuliers du monument.

C’est ainsi que dans les sous-sols du Château, elle donne naissance à d’impressionnantes coulées de couleur rouge sombre, qui vont théâtralement habiter "l’office" et se répandre sur le sol, roulées et positionnées "comme un jeu d’échecs". Ce spectaculaire "lever de rideau" pourpre jouxte, dans un magistral face à face, la verticalité puissante des poutres de Jannis Kounellis.

Mais elle invente aussi, dans la " boucherie" voisine, une mystérieuse chute ultramarine, dissimulant une porte vers un tunnel imaginaire, jouant avec la lumière des meurtrières, qu’elle appelle "issue secrète".

Elle mêle, dans "le réfectoire", des "entrelacs" de rubans sable et ocre, qui s’infiltrent dans la texture des pierres.

Sous les toits du château, dans les anciens Appartements des Invités, elle étend fièrement ses étoffes monochromes, tels des étendards, annonçant le triomphe de la couleur. Elle fait aussi "tomber le ciel dans la cheminée". Sensible à la subtilité des tons, elle mêle le gris du mur ancien mis à nu à de précieux papiers coréens rose pâle. Elle invente un "mur tremblant" qui vibre au passage des visiteurs, dans la pièce où subsistent d’anciens papiers peints déchirés, eux-mêmes soulevés par le mouvement du temps.

Dans la chambre qu’elle a baptisée "envoûtement", elle a savamment mêlé étoffes et tissages en lambeaux, qui semblent être présents de toute éternité, épousant finement la voûte et renforçant ainsi le mystère du lieu. 

Ne lâchant jamais le fil de sa pensée et de la bobine qu’elle tient entre ses mains, elle jette et projette, au sol et sur les murs, tissus et laines de toutes sortes. Elle dialogue avec l’histoire et l’architecture, en créant des environnements, des univers. Elle fait surgir des ambiances en des lieux, qui ont déjà inspiré Sarkis et Gabriel Orozco, sensibles, comme elle, aux âmes en suspens, aux imperceptibles signes venus d’un autre siècle. 

Mais rien des moirures, des nuances ou des lumières ne lui est étranger. Elle déploie, avec allégresse, la palette des possibles de la matière et de la couleur.

Sans rien dévoiler d’un message, toujours à plusieurs sens, les installations de Sheila Hicks sont des évocations d’univers secrets que l’artiste se plait à suggérer et à insinuer dans nos âmes."  Chantal Colleu-Dumond