Kaz Oshiro

Retour sur Mulholland Drive


Curated by Nicolas Bourriaud

January 28 - April 23, 2017

La Panacée, Montpellier, France

www.lapanacee.org

Kaz Oshiro, Dumpster (Black with residue), 2014
Exhibition view, La Panacée, Montpellier, France, 2017 [in the background]

Photo : Olivier Cablat, La Panacée 

Si l’on devait l’affilier à un genre, Retour sur Mulholland Drive pourrait se définir comme une exposition‐essai, ou une rêverie librement inspirée d’une oeuvre cinématographique. Elle tente de traduire le film de David Lynch dans un espace d’exposition, au moment où il revient derrière la caméra pour tourner la suite de la série Twin Peaks.

Mais si cette exposition prend comme matière première et réservoir de motifs le film‐culte du réalisateur américain, Mulholland Drive (2001), c’est aussi afin de révéler une tendance émergente de l’art contemporain : le “minimalisme fantastique” : comment créer une “inquiétante étrangeté”, une atmosphère angoissante ou féérique, à partir de formes minimalistes. Retour sur Mulholland Drive forme ainsi un parcours constitué d’œuvres qui explorent le potentiel énigmatique de choses apparemment lisses ou dérisoires.

C’est ainsi un simple cube bleu, tombé d’un sac à mains, qui cristallise le mystère de Mulholland Drive. Cette apparition subite, et inexpliquée, fait basculer le récit dans une sorte de réalité parallèle : la seconde partie représente‐t‐elle la réalité, et la première le rêve? S’agit‐il de deux versions d’une même histoire ?

Pour la génération d’artistes apparue dans les années 2000, les films de David Lynch font figure de classiques. Qu’ils reconnaissent l’influence esthétique du cinéaste ou pas, force est de constater que certains traits de l’univers lynchien sont devenus des lieux communs visuels, de l’image stroboscopique jusqu’à son usage très spécifique de la lumière. Plus profondément, les thèmes fondamentaux de son cinéma restent d’une grande actualité dans le monde de l’art contemporain : l’image comme matière ou comme pellicule fantomatique, l’ambivalence de la réalité, le rêve et la transmigration, l’angoisse générée par la réalité quotidienne, la tension entre le glamour et l’immondice...

Retour sur Mulholland Drive montre, pour l’essentiel, une génération d’artistes qui joue avec les codes de la culture populaire, mais sans recourir ni à la surcharge ni à l’agrandissement pop : loin de banaliser l’image ou l’objet, et de renvoyer au monde de la consommation de masse, ils/elles les utilisent avec une économie de moyens qui témoigne d’un esprit d’analyse, mais aussi d’une volonté de lui donner une réelle puissance d’évocation, voire d’invocation. La forme est ici considérée avec gravité.

Dans ce traitement méticuleux des éléments iconographiques, on peut voir apparaître une sorte de surréalisme 2.0, voire un ésotérisme sans dieu, dont la caractéristique principale serait une attention extrême portée à ce qui existe derrière la réalité visible — recherche lynchienne s’il en est.

Retour sur Mulholland Drive est aussi, et avant tout, une exposition cinématographique en son principe : elle s’organise en séquences inspirées par le film, et notamment sa division en deux parties autour d’une coupure abrupte. Structurée comme un parcours qui correspond à une impasse, voire un enfoncement dans l’horreur, elle renvoie à certaines séquences du film (le parking situé derrière le café, où l’on entrevoit un personnage innommable) et multiplie les indices entrecroisés et les références à l’univers lynchien. Retour sur Mulholland Drive tente ainsi de transposer dans une exposition d’art contemporain l’atmosphère d’une œuvre cinématographique, et de proposer à ses visiteurs une expérience proche de celle qu’ils auront pu éprouver en voyant le film de David Lynch.