Anne Le Troter

L'appétence

2016

Anne Le Troter, L'appétence, 2016
Salon de Montrouge
Pièce sonore 09:22 min
4 haut-parleurs
Grand prix du salon de Montrouge
Commissariat : Ami Barak, Marie Gautier (Salon de Montrouge)
En collaboration avec les artites ASMR : Final ASMR, Made in France ASMR, Miel ASMR, Mr Discrait, Sandra relaxation ASMR, The french Whisperer
Aide à la production : ADAGP

A tendre

La voix est une incarnation, et plus précisément, l’incarnation d’une attente. Elle nous suspend à un process d’intention et d’attention, entrainant autant de typologies ou modalités de phonation et de réception. Le point de départ des récentes pièces d’Anne Le Troter est d’abord la rencontre avec des voisements modelés tels des gestes consciencieusement portés. [...] C’est ici à partir des récits d’expériences des membres de communautés ASMR — autonomous sensory meridian response, ou en français, réponse autonome sensorielle méridienne, considérée comme une technique de relaxation par la voix — que l’artiste élabore une nouvelle fois l’écriture d’un script qui devient la partition d’interprétations pour ces protagonistes, soumises ensuite elles-mêmes à la distribution du montage et de l’exposition. Dans un jeu de miroirs et de translations orchestrée par Anne Le Troter, s’échafaude ainsi une mise en scène sans représentation, une scène dont il ne reste que les tropismes d’ex-corporation et d’incorporation d’interprétants tour à tour sondeurs ou sondés, objets ou sujets d’observations. Dans ces vis-à-vis et va-et-vient, contenus et contenants semblent alors se porter et s’écarter à la fois. Une attente s’installe dans l’intervalle des blancs et des bancs arrangés par l’artiste. Aussi l’apparente tradition structurale dans laquelle s’inscrit par sa nature réflexive et technique, le travail d’Anne Le Troter ne résiste pas à une dimension métaphysique. Dès lors que le langage s’ouvre au geste vocal, la forme ou le style, aussi travaillés soient-ils, ne suffisent pas à imposer la stratégie d’une pensée, aussi déterminée soit-elle. Celle-ci s’ouvre, pour reprendre l’un des chuchoteurs, « à l’image qu’on donne », à l’Appétence suscitée par la figure. Chacun est amené à stationner dans l’attente de cette image, à tendre vers elle par la voix et l’écoute, à entrer dans le cercle de l’enquête ou dans la nébuleuse de l’interprétation, comme dans une coalition (ou une étreinte) passagère. [...] En elle, transite l’expérience d’une transe, des voix qui parviennent à porter au-delà d’elles-mêmes, à s’extraire de la tautologie, de la communication, ou des effets de style, pour nous introduire dans la texture innommable d’une latence poétique ou dans cet intraduisible instant du verbe s’incarnant. Si L’Appétence instaure la forme d’une pensée, c’est celle de l’attente dans laquelle nous introduit également L’Attente l’oubli de Maurice Blanchot, et dont le propre « est d’échapper à toutes les formes de question qu’elle rend possibles et dont elle s’exclut »1.

Florence Meyssonnier, Catalogue L’Art dans les Chapelles

1. Maurice Blanchot, L’Attente l’oubli, Paris, Gallimard, 1983 [1962], p. 101