Anne Le Troter

Poudre Froide

2021

Anne Le Troter, Poudre froide, 2021
Installation sonore
Banc en câble audio, 30 cartes musicales, câble audio en grappes, lecteur audio, ampli son 

Dans la pièce Poudre froide, Anne Le Troter sculpte la langue et les mots tout en cherchant à expliquer comment les idées se forment. Dans cette pièce, l’artiste passe par un protocole consistant à considérer le micro comme un éventail. Elle le secoue devant elle tandis qu’elle parle. L’air ajouté vient alimenter les pensées de l’artiste qui s’emballent. Anne Le Troter se laisse aller à l’ivresse de la parole tout en cherchant à percer ses mécanismes. De ce chant sous oxygène, il en résulte un poème sonore tremblant et foisonnant qui est diffusé sur des cartes musicales, dispositif sonore désuet davantage utilisé comme marqueur d’un évènement dans la vie d’une personne. Pour écouter la pièce sonore, le.la spectateur.trice est invité.e à s’assoir sur un banc en câble audio alimentant les cartes musicales.

Les cartes musicales servent d’ordinaire à souhaiter un « joyeux anniversaire », par exemple. Ici, c’est un chant qui est audible, un chant qui se questionne lui-même sur ses conditions d’apparition. C’est une pensée tremblante, sautillante, fragile et une pensée en grappe à l’image de ce que peut être la pensée et de ce qu’est ce dispositif d’écoute.

Ces dispositifs sonores que sont les cartes musicales sont pensés pour une certaine mobilité, on les écoute quand nous les recevons, que ce soit chez nous ou bien lorsque nous travaillons. Pourtant les paroles enregistrées dans ces cartes musicales sont potentiellement conservées dans une habitation et plus précisement dans une bibliothèque. Ils deviennent de curieux livres audio témoignant d’un évènement de la vie d’un individu. C’est sans doute ce rapport au livre sonore qu’a aussi retenu l’artiste : elle aussi s’enregistre pour écrire, comme en témoignent ses livres Claire, Anne, Laurence (pièce de théâtre, édition Hard-Copy, 2012) ou L’encyclopédie de la matière (éditions Héros-limite, 2013).

Depuis 2011, Anne Le Troter parle à cet objet intime qu’est pour elle son enregistreur audio. Depuis 2011, elle s’enregistre donc en multipliant les protocoles pour lui permettre in fine d’écrire et d’envisager le monde, de chercher à le comprendre. C’est une sorte de monologue continu depuis neuf ans, une pensée toujours en train de se faire, qui ne s’arrête jamais, comme dans la pièce sonore Firi Riri Loulou. L’artiste colle ses lèvres sur le micro de son enregistreur. Elle l’embrasse. Ainsi ce mode de production lui a permis d’écrire les livres cités plus haut.

Nous connaissons de l’artiste peut-être davantage ses installations sonores comme Parler de loin ou bien se taire, acquise par le Centre Pompidou, ou bien Liste à puces, qui témoignent d’un geste, le geste de tendre son bras chargé de son enregistreur vers la bouche des autres. En effet, dans les deux installations sonores citées, l’artiste expose la voix des autres, qu’ils. elles soient des enquêteurs.trices téléphoniques ou bien les voix de banques de sperme privées. Pourtant, comme le dit l’artiste, avant de pouvoir passer le micro elle produit des pièces sonores plus intimes exposant ses propres textes poétiques et sa façon de sculpter la parole. Ainsi, Poudre froide témoigne de cette aller-retour entre la bouche de l’artiste et celle des autres, de ce va-et-vient incéssant et nécessaire à quiconque.