Les Pornoplantes

October 14 - November 18, 2023

Opening October 14, from 6 pm to 8 pm 

galerie frank elbaz, Paris

Anne Le Troter, Les Pornoplantes, 2023
Exhibition views, galerie frank elbaz, Paris Photo: Claire Dorn

Extérieur jour. Discours fermé. Explicite dans l’intimité du casque. Trois bancs couleur sable, noir pour le câble. Sous les fesses, dans le dos, le son, la voix. Ploc, Ploc.

Quand Anne Le Troter sortit un matin d'un sommeil peuplé de rêves troublants, elle se retrouva transformée dans son lit, quelque part dans une forêt, en une sorte de plante. Comme les Héliades qui avaient tant pleuré la mort de leur frère Phaéton, foudroyé pour avoir emprunté les clés du char solaire du papa, qu’elles se changèrent en peupliers et en aulnes, ses doigts s’étaient d’abord allongés si démesurément qu’on ne put rapidement plus parler que de branches et de tiges. Le reste du corps avait suivi, secoué de toute part par une multitude de germinations et de bourgeonnements. Dans ce devenir-plante qui était en train d’advenir, elle conserva une silhouette à peu près humaine comme les racines aphrodisiaques de la mandragore : une tête, des jambes (2), un sexe (par intermittence) – exercice quotidien : passer la tête entre les jambes pour voir ce qui s’y passe et sentir le sang tambouriner sur les tempes. Et une voix. Ben ouais. Car cette plante-là fait de l'audio porn et de l’ASMR, déballe et n'a pas sa langue et son cul dans sa poche. Saison après saison, elle explore la sexualité végétale et nous chuchote l’euphorie du printemps, la chute du sexe de l’autonome et le renouveau du poil qui fleurit. Une trilogie : 1. L’intensité d’une sociabilité du frottement 2. La solitude de l’isolement 3. L’espoir et les perspectives des échanges retrouvés. C’est que cette voix a des ambitions. Elle ne veut pas simplement être entendue, elle veut pénétrer ses contemporain.es. Toucher, s’infilter, contacter, comme une sorte de peau impalpable et vibrante, dont les pores auraient été remplacés par des jacks. Je dis peau, mais écorce ou surface foliaire seraient probablement plus adaptés. Le terme haptique peut-il être employé au sujet de la voix ?

Extérieur jour. Discours ouvert. Murs blancs, verres transparents, réseaux de câbles et dessins en acier. Conductibilité. Dédoublement et maquette. Transducteurs et objets parlant. L’espace sue le son. Ploc, Ploc.

Maintenant un petit groupe s'est formé dans la clairière. On compte six personnages – des femmes des hommes. Iels entrainent leur corps à se tendre, à se gainer, à accueillir. On les voit tenir des positions à angles droits, un peu comme les phasmes avec leurs longs membres fins comme des branches. Iels font la chaise là d’où viennent toutes les chaises. Iels soufflent et transpirent. Gros effort, la chaise. Les cuisses finissent par se crisper et trembler, il faut tenir pour que le haut ne cède pas. Tenir dans l’attente que quelqu’un s’assoit. C’est chaud, la chaise. Et fonctionnel. Ça ne s’arrête jamais de bosser. Tou.tes ensemble, iels font salon dans la forêt. Leurs corps se mobilisent pour faire mobilier. Ils deviennent des corps living-room. Iels ont eu l’idée en regardant sur Youtube, tout serré autour de l’ordi, une vidéo d’Antic Meet de Merce Cunningham, où on le voit porter un costume-chaise imaginé par Robert Rauschenberg. Une chaise comme un sac à dos. Le danseur-chaise découvre une société dont il ne connaît pas les règles et qu’il va embrasser. A l’inverse, notre petite communauté dans la forêt opère un mouvement de retrait. Elle s’extrait au milieu des arbres pour faire aire de repos, avec l’immobilisme (mais il faut quand même le tenir physiquement encore et encore) comme horizon politique. Certain.es se projettent déjà dans des devenirs-table-de-pique-nique. Mais dans ce projet de réification sensible et militant, tou.tes rêvent de devenir le jouet du chien. Mordillé, léchouillé, dégoulinant de salive. Ne prenez pas cet air dégouté, vous vous trompez, ce n’est pas répugnant. Le jouet du chien, c’est l’objet ultime de désir et de satisfaction.

Vraiment, tout est parti d'un peignoir rose chargé de quarante haut-parleurs contenus dans des languettes de papier. Un peignoir rose porté comme on sort de la douche et portant les voix des autres pour leur faire une petite place sur soi, en soi, à travers soi. Laisser le corps vibrer des mots des autres. En faire un abri pour une communauté de parlants, pour en prendre soin. Multiplication des bouches sur le corps, multiplication des lieux d’énonciation. Ce qui se manifeste ici, c’est la composition d’une géographie de la parole qui tombe dans les organes, dans les seins, dans le ventre, dans les jambes. La performance d’une oralité sans tête.

 - Raphael Brunel

Anne Le Troter, Les Pornoplantes, 2023
Exhibition views, galerie frank elbaz, Paris Photo: Claire Dorn

Anne Le Troter
Le Corps Living Room, 2023
Sound installation, 30 minutes
Glass, steel, transducers, audio cable, speakers, audio player, powder-coated steel box
Voices: Martin Bakero, Eva Barto, Agathe Boulanger, Victoire Le Bars, Anne Le Troter et Simon Nicaise

Anne Le Troter
Le Corps Living Room, 2023
Sound installation, 30 minutes
Powder-coated steel bench, rotary indexing tables, speakers, audio cable, bleached carpet, powder-coated steel box, steel

Exterior, daytime. Closed Speech. Explicit intimacy like headphones. Three sand-colored benches, a black cable. Under the butt, from behind, the sound, the voice. Ploc, Ploc.

When Anne Le Troter awoke one morning from a sleep filled with disturbing dreams, she found herself transformed in her bed, somewhere in a forest, into a kind of plant. Like the Heliades, who had so mourned the death of their brother Phaethon (struck down for borrowing the keys of their daddy's solar chariot) that they turned into poplars and alders, their fingers lengthened so immeasurably that soon one could only allude to branches and stems. The rest of the body followed, affected on all sides by a multitude of germinations and buddings. In this plant becoming that was happening, she retained a more or less human silhouette, like the aphrodisiac roots of the Mandragora officinarum: a head, legs (2), genitals (intermittently). Daily exercise: pass the head between the legs to see whatʼs happening there and feel the blood hammering on the temples. And a voice. Well, yeah. Because this plant does audio porn and ASMR, unleashes and is never at loss for words. Season after season, she explores plant sexuality and whispers the euphoria of spring to us, the loss of autonomous sex and the renewal of hair flowering. A trilogy: 1. The intensity of a sociability of friction 2. The solitude of isolation 3. The hope and prospects of rediscovered exchanges. This voice has ambitions. It doesnʼt just want to be heard; it wants to seep into its contemporaries. To touch, to infiltrate, to contact, like a sort of impalpable and vibrant skin, whose pores have been replaced by audio jacks. I say skin, but bark or surface of foliage would probably be more on point. Can the term ʻhapticʼ be applied to voice?

Exterior, daytime. Open speech. White walls, transparent glasses, cable networks and steel designs. Conductivity. Division and maquette. Transducers and speaking objects. The space sweats sound. Ploc, Ploc.

Now a small group has formed in the clearing. There are six characters, women and men. They train their bodies to draw in tightly, to strengthen themselves, to welcome. We see them holding positions at right angles, a bit like stick insects with their long, branch-thin limbs. They fashion themselves into chairs, there where all the chairs come from. They breathe and sweat. Major effort, the chair. The thighs end up tensing and trembling, have to hold on so that the top doesnʼt give way. Hold on in anticipation of someone sitting down. Itʼs a tall order, the chair. And functional. The work never stops. All together, they create a lounge in the forest. Their bodies mobilize to make furniture. They become living room bodies. They got the idea from watching on Youtube, all crowded around the computer, an Antic Meet video of Merce Cunningham, where we see the dancer wearing a chair costume designed by Robert Rauschenberg. A chair like a backpack. The chair-dancer discovers a society whose rules he doesnʼt know, which he will embrace. Conversely, our small community in the forest operates in a movement of withdrawal. It extracts itself amidst the trees to make a rest area, resistant to change (though it still has to still hold physically, and further still) like the political horizon. Some are already planning to fashion themselves into picnic tables. But in this sensitive and militant project of concretization, everyone dreams of becoming a dog toy. Nibbled, licked, dribbling with saliva. Don't look so disgusted: you're wrong, it's not disgusting. The dog toy is the ultimate object of desire and satisfaction.

Really, it all started with a pink bathrobe loaded with forty speakers contained in strips of paper. A pink bathrobe worn as you come out of the shower, carrying the voices of others to make a little space for them on you, in you, through you. Letting the body vibrate with the words of others. Making it a shelter for a community of speakers, to care for them. Multiplication of mouths on the body, multiplication of places of pronouncement. What is manifested, here, is composing a geography of speech, which falls into the organs, into the breasts, into the stomach, into the legs. The performance of headless orality.


 - Raphael Brunel

Au cours de l'exposition Les pornoplantes, trois performances sont prévues dont une à la Ménagerie de verre.

Le Corps Living Room, performance de 35 minutes d'Anne Le Troter sera joué :
galerie frank elbaz: Mardi 17 octobre à 18h et mardi 7 novembre à 19h30 en accès libre. 
Ménagerie de Verre : Samedi 21 octobre à 18h30. Réservez vos places ici.

C’est à la suite d’une bourse du programme Mondes Nouveaux et d’une résidence à la Villa Kujoyama à Kyoto que l’artiste Anne Le Troter développe une performance dans laquelle un groupe de parlants cherche à s’extraire de la société, à reculer en mimant les objets qui nous entourent, dans la forêt. Elles et ils tentent l’immobilisme comme engagement et comme conviction, refusant par là de continuer en l’état. Anne Le Troter s’inspire d’Antic Meet (1958) de Merce Cunningham, œuvre dans laquelle le chorégraphe tombe amoureux d’une société dont il ne connait pas les règles. Petit à petit le corps mute et se charge d’éléments de mobilier pour proposer d’autres usages. Ici, à l’inverse, un groupe de personnes connaissant trop les règles décide de s’en extraire, de se retirer, de partir, de s’invisibiliser dans les bois, sans préméditation. Le groupe se transforme en aire de repos proposant une autre utilisation du corps. Petit à petit, le corps immobile se réveille et propose une autre géographie à la parole : ce n’est plus seulement la tête qui parle.

Artiste, Anne Le Troter mêle installation sonore, performance, théâtre, littérature et poésie. Après l’écriture de deux livres, elle s’est intéressée à la place qu’occupe la parole au travail à travers plusieurs pièces sonores. Invitée par la fondation Pernod Ricard, la Biennale de Rennes, le centre d’art contemporain Le Grand Café à Saint Nazaire, le Nasher Sculpture Center à Dallas et le Centre Pompidou, elle a engagé des cycles d’écriture sur la notion de biographie, de fiction et d’utopie autour de la question de nos modes de reproduction. En 2021 elle est lauréate de la bourse Bétonsalon et ADAGP, ainsi que du programme Mondes Nouveaux et de la Villa Kujoyama.

Performeureuses : Agathe Boulanger, Emily Holmes, Anne Le Troter, Simon Nicaise, Jean François Riffaud Costumes : Anna Carraud, Marnie Langlois et Mirabelle Pérot

Développement technique : Julien Jassaud

La performance Le Corps Living Room est au départ un vinyle produit et édité par *Duuu radio. Le son de la performance et de la pièce sonore dans l'exposition provient de ce moment-là. La performance a reçu le soutien de la villa Kujoyama, de l'Institut Français et de Mondes Nouveaux. Les Inaccoutumés 2023 bénéficient du soutien du ministère de la Culture / Délégation générale de la création artistique et de Dance Reflections by Van Cleef & Arpels.

Anne Le Troter, Les Pornoplantes, 2023
Exhibition views, galerie frank elbaz, Paris Photo: Claire Dorn

Anne Le Troter
Le Corps Living Room / Chips, 2023
Sound installation, 30 minutes
Glass, steel, transducers, audio cable, speakers, audio player, powder-coated steel box
Voices: Martin Bakero, Eva Barto, Agathe Boulanger, Victoire Le Bars, Anne Le Troter et Simon Nicaise

Anne Le Troter
Drawing (autoportrait), 2023
Pastel on paper

Les Pornoplantes

Parlant-es : Lou Villapadierna et Anne Le Troter

Le Corps Living Room

La pièce sonore Le Corps Living Room est au départ un vinyle produit et édité par *Duuu radio. Le son de la pièce sonore dans l'exposition provient de ce moment-là.

Parlant-es : Martin Bakero, Eva Barto, Agathe Boulanger, Victoire Le Bars, Anne Le Troter et Simon Nicaise

Enregistrement du vinyle à Saint-Lô d’Orville
La Feré-Loupière
Studio *Duuu
La Villette : Elen Huynh et Noé Mignard
*Duuu

Montage : Anne Le Troter
Mixage : Noé Mignard *Duuu
Production : Loraine Baud *Duuu

L’artiste remercie Martin Baker, Eva Barto, Agathe Boulanger, Victoire Le Bars, Simon Nicaise, Loraine Baud, Elen Huynh, Noé Mignard, Emilien Gros, Maxime Maurel, Félicité Landrivon, Jean-Benoît Aubé et Syann, Marie-Andrée et Etienne Malleville et Antonin Horquin.

Le Corps Living Room est au départ un vinyle produit et édité par *Duuu radio.
Le son de la pièce sonore provient de ce moment-là.
Une performance est prévue à la Ménagerie de verre le 21 octobre 2023. Deux performances à la galerie frank elbaz le 17 octobre à 18h et le 7 novembre 19:30 sont prévues.
Performeureuses : Agathe Boulanger, Emily Holmes, Anne Le Troter, Simon Nicaise et Jean François Riffaud
Costumes : Anna Carraud, Marnie Langlois et Mirabelle Perot
Développement technique : Julien Jassaud
L'artiste remercie les performeureuses, l'équipe à la partie Costume, celle à la partie Technique de même que Philippe Quesne, Christophe Susset et toute l'équipe de la Ménagerie de verre.

Le vinyle Le corps living room a reçu le soutien du CNAP, de la DRAC et de la Fondation des artistes. Les Inaccoutumés 2023 bénéficient du soutien du ministère de la Culture / Délégation générale de la création artistique et de Dance Reflections by Van Cleef & Arpels.

L’artiste remercie Jean-Benoît Aubé et Syann, Martin Bakero, Colette Barbier, Eva Barto, Attila Bartos, Loraine Baud, Bernard Blistène, Agathe Boulanger, Victoire Le Bars, Clara Berthiaux, Guillaume Couturier, Raphaël Brunel, Anna Carraud, Lucas Chauveheid, *Duuu radio, Frank Elbaz, Adèle Fremolle, Anna Kraft, Félicité Landrivon, Marnie Langlois, Simon Nicaise, Stéphane Henry, Samuel Weill, Sergiu Ujvarosi, Emily Holmes, Antonin Horquin, Elen Huynh, Noé Mignard, Emilien Gros, Maxime Maurel, La ménagerie de verre, Marie-Andrée et Etienne Malleville, Julien Pelloux, Mirabelle Pérot, Margot Pietri, David Post-Kolher, Aurélie Pétrel, Mirabelle Pérot, Philippe Quesne, Jean François Riffaud et Christophe Susset, La Villa Kujoyama.

Anne Le Troter, Les Pornoplantes, 2023
Exhibition views, galerie frank elbaz, Paris Photo: Claire Dorn

Anne Le Troter
Pornoplante (Chapitre 2/3), 2023
Sound installation
Audio cable bench, speakers, audio player, sheaths, wooden box, bleached carpet
Voices: Lou Villapadierna and Anne Le Troter